In memoriam : Jurek Boroch
Pour comprendre son affection pour Biviers, il faut remonter à 1939 et revenir à la Grande Histoire. Après l'écrasement de la Pologne par l'armée allemande, de nombreux Polonais, voulant continuer la lutte, se sont exilés à l'Ouest. Wladislaw Boroch, d'abord douanier, puis officier, et son épouse Wladislawa, ont, malgré la progression nazie, traversé l'Europe centrale du nord au sud pour atteindre la Méditerranée où un navire de la Croix-Rouge les a recueillis et amenés à Marseille, échappant ainsi au massacre de Katyn. A Marseille, Wladislaw s'est engagé dans l'armée Sikorski qui a combattu aux côtés des Français, en particulier à Lunéville, puis à St-Dié.
Après l'armistice, les survivants de son régiment se réfugient en Suisse, où ils ont été faits prisonniers, mais sans être maltraités, dans le respect des conventions de Genève. C'est ainsi que Mme Boroch a été autorisée à rendre visite à son mari et que Jurek a été conçu en Suisse. Il est né en 1942 à Marseille où sa mère travaillait pour la Croix-Rouge. Son père, revenu en France grâce à la Résistance, rejoindra l'Angleterre pour continuer la lutte. Mme Boroch sera orientée sur Biviers, à Ker Janine, où étaient déjà réfugiés plusieurs exilés polonais. Après la guerre, le ménage Boroch devra quitter la demeure, rendue à ses propriétaires, mais il avait trouvé un logement aux Barraux, parmi une population amicale. Mme Boroch y a exercé la profession de couturière.
L'ancienne maison Derbetant, devenue en 1920 la pension de famille Ker Janine, puis maison d'enfants sous la direction du Dr Bizolon, avait été convertie, dès 1939, en refuge pour la Croix-Rouge. Notre région était en effet devenue terre d'asile pour les réfugiés des nations envahies par l'Allemagne. C'est à cette date, par exemple, que le couple Finally – autrichien quant à lui – trouve refuge à La Tronche après une très difficile pérégrination. De nombreux Polonais ont été regroupés en Isère, devenue un petit morceau de Pologne, à tel point que le lycée polonais de Paris sera transféré à Villard-de-Lans. Signalons, à ce propos, qu'un de nos amis biviérois, Philippe Blanc, y a enseigné le français. Le lycée exercera jusqu'en 1946, malgré l'arrestation de ses dirigeants et l'attaque du Vercors de juillet 44, au cours de laquelle 25 de ses membres ont été tués.
En 1945, arrive à Ker Janine le dramaturge polonais Gustaw Morcinek, rescapé de Dachau. Il ne restera que peu de mois à Biviers, préférant rejoindre la Pologne, alors que la plupart des réfugiés polonais demanderont asile à la France pour ne pas retrouver une patrie asservie à nouveau par une puissance étrangère. Morcinek a cependant eu le temps d'écrire un livre à Biviers, à l'ombre du mûrier, face à Belledonne, selon ses propres termes. Devenu écrivain et homme politique célèbre, il citera plusieurs fois, dans ses œuvres, la douceur de vivre à Biviers après l'enfer des camps. Il ne restait alors à Ker Janine, en 1945, plus que de très jeunes femmes, si l'on en croit les trois photos ci-dessous datant de 1945, communiquées par Jurek, dont la photo d'identité de Morcinek (Il est très possible qu'il s'agisse de lui dans la photo de droite.)
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Cette présence polonaise dans notre région se rattache à une bien plus vaste histoire. L'amitié franco-polonaise en effet a été permanente, surtout pendant les périodes où a souffert la Pologne, écrasée entre deux nations dominatrices, souvent esclavagistes et barbares. Sous les Romains déjà, le peuple burgonde, qu'on situe en Pologne, avait été écrasé par les Saxons ; les Romains en avaient recueilli les rescapés pour les transférer dans l'est de la Gaule, dans une région qui deviendra la Burgondie, scindée ensuite en Bourgogne, Dauphiné et Savoie. Nous descendons, quant à nous, tout autant des Burgondes polonais que des Allobroges. C'est peut-être l'une des raisons qui ont fait de notre région le refuge de 1939-45.
Il ne faut pas oublier d'autres liens tissés entre nos deux pays. Bien sûr, il y a eu l'exil des très nombreux mineurs de Silésie venus extraire le charbon de la région lilloise dans des conditions fort pénibles, mais préférables sans doute au sort qui les attendait dans leur patrie. Il y a eu d'autres exils moins douloureux, comme celui d'une reine de France, épouse de Louis XV, de son père Stanislas, roi déchu réfugié à Nancy, du virtuose Frédéric Chopin, de la physicienne Marie Sklodowska-Curie, deux fois prix Nobel, panthéonisée, et du physicien Georges Charpak, prix Nobel lui aussi, décédé en 2010.
Telles étaient nos pensées pendant la très émouvante cérémonie d'adieu à Jerzy en l'église de Biviers le 19 décembre 2017.
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