La famille d'Arces

Cette famille a joué un grand rôle dans notre région. D'où venait-elle ? On sait qu'un Louis d'Arces porte le titre de seigneur de la Tour d'Arces en 1170 et que sa fille Guifrède se marie en 1216 avec Hugues Morard (de Theys), seigneur de La Pierre. La descendance de ce couple portera le nom d'Arces, de Morard ou de Morard d'Arces, selon l'enfant dont la branche est issue. Remarquons à ce propos que les nobles de France ont toujours fait une différence entre la noblesse ancienne, c'est-à-dire datant au moins de Louis IX (Saint-Louis), le haut du pavé, et la noblesse récente, souvent obtenue par le courage, mais considérée comme inférieure. En ce qui concerne les Arces, avec ce critère, pas de doute : ils étaient bien de haute lignée !

Le nom d'Arces a-t-il un rapport avec celui de Pierre Auruce, maréchal de camp du Dauphin vers 1250, seigneur de Monbonnot ? En tout cas, il s'agit d'une famille complexe, avec de nombreuses branches, d'aussi nombreuses chutes en quenouille (absence d'héritier mâle), des éclipses et des résurgences. L'étude généalogique en est difficile. Les Arces auraient encore des représentants vivants.

Bien que fort ancienne, cette famille ne semble avoir laissé de traces qu'à partir du mariage de Guifrède d'Arces avec Hugues Morard de Theys en 1216. Apport de sang neuf ? Situation plus favorable ? La descendance de ce couple, dont une partie voudra porter le nom d'Arces (ce qui prouve son ancienneté), partira à la conquête des filles de châtelains et de leur dot, les maisons fortes des environs.

A Biviers, Montbives devient leur fief vers 1383. Ils le garderont jusqu'en 1593 (210 ans au moins, voir Arces de Montbives, tableau pdf). Ils ont fait construire le château de Serviantin. A Meylan, le château ou maison forte, appelé la Bâtie à l'époque, leur a appartenu pendant 202 ans. Nous en parlerons plus loin.

A Saint-Ismier, une tour en ruine, haut placée dans la forêt, porte toujours leur nom, mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la Tour d'Arces, berceau de la famille. Ce qui est sûr, c'est que la famille d'Arces a possédé à Saint-Ismier une importante maison forte que nous essayerons de localiser (voir plus loin). Elle s'appelait Tour d'Arces et, plus tard, Bâtie de Saint-Ismier. Elle a été fief d'Arces pendant plus de 300 ans.

Des ecclésiastiques

Plusieurs membres de la famille d'Arces ont été prieurs de Saint Martin de Miséré. Ils se transmettent même cette fonction d'oncle à neveu. En 1390, Hugues est prieur à St Martin, mais aussi à Thoiry (près de Chambéry) et à l'hospice du Grand Saint Bernard. Il est également prévôt, ami et conseiller du duc de Savoie, Amédée VIII. Il réside habituellement près de Thonon et meurt en 1425.

Son neveu Jean d'Arces lui succède en 1417 dans toutes ses fonctions et devient en 1438 archevêque de Tarentaise (on lui doit la façade de la cathédrale de Moûtiers) et même cardinal. Il présida par intérim le concile de Bâle. Cet illustre personnage, mort en 1454, a fondé en 1433 l'hôpital de Montbonnot avec l'aide de ses cousins Hugues d'Arces, seigneur de la Bâtie de Meylan et Soffrey d'Arces (branche de St-Ismier), chevalier et, auparavant, bailli de Briançon. Il subsiste encore un bâtiment de cet hôpital, avec une tour, au bord de la Nationale, en face de la poste de Montbonnot.

Des chevaliers

De nombreux membres de la famille d'Arces ont porté le titre de chevalier, titre qui conduisait à la noblesse d'armes : par exemple, Soffrey, qui fut bailli de Briançon et participa avec ses cousins à la construction de l'hôpital de Monbonnot. Deux autres chevaliers méritent un détour.

Un bon capitaine Louis d'Ars est constamment cité aux côtés de Bayard par les biographes du chevalier. Plus âgé que lui d'environ 10 ans, il a combattu comme lieutenant du comte de Ligny pendant la majeure partie des guerres d'Italie (il aurait donc commandé Bayard à ses débuts). Le lieutenant était à cette époque celui qui commandait la compagnie (plus de 500 hommes) en l'absence du capitaine, noble de haute lignée, pas toujours présent sur le champ de bataille. Noter que Louis d'Ars était - disons - assez personnel. D'une loyauté inébranlable envers le comte de Ligny, il ne jouait pas toujours le jeu du roi de France (cf. la désastreuse campagne des Pouilles). A la bataille de Marignan (1515), il est appelé le vieux capitaine d'Ars (il devait avoir au moins 50 ans). Ensuite, il n'en est plus fait mention ; il serait mort un an après Bayard, tué à la bataille de Pavie avec de nombreux gentilhommes (1525). Bien plus tard, Balzac en fait un héros, né au château d'Ars en Berry (imaginaire ?).

Il est possible qu'il s'agisse d'un Louis d'Arces, l'orthographe étant indécise à l'époque. Sa présence fréquente en Italie prouve soit une grande disponibilité, soit la proximité de sa résidence. Aucune mention de ses origines, ni de sa famille n'a été retrouvée (pour l'instant) dans les généalogies ci-jointes. Cependant il y avait d'autres familles d'Arces en Dauphiné, en particulier à Domène : or dans la famille d'Arces de Domène, on trouve un Louis d'Arces, fils de Louis d'Arces dit Vachon. On ne sait pas grand-chose sur lui ; il possédait la maison forte de Domène en 1483 ; il a des enfants - dont un fils naturel - et il rédige un testament en 1506, dans lequel il organise pour lui de grandioses funérailles (présence de 30 prêtres!).

Plus jeune que Bayard et que Louis d'Ars ou d'Arces, Antoine de Morard d'Arces, appelé le chevalier blanc, sera également plus tard compagnon d'armes de Bayard en Italie. Ce curieux personnage, le dernier des chevaliers errants, a eu une vie mouvementée et pleine d'aventures avant de finir assassiné en Ecosse en 1517, après en avoir été le lieutenant général, en quelque sorte le vice-roi. A cette époque, l'Ecosse avait des relations privilégiées avec la France, les ennemis de nos ennemis étant nos amis (devinez qui étaient les ennemis ?). Ce chevalier est dans la lignée des d'Arces de Montbives-Meylan. Il est probablement né à Biviers et y a passé son enfance, puisque son père Jean possèdait la maison forte de Montbives et celle de la Bâtie de Meylan ; or, Montbives est autrement plus habitable et confortable que la Bâtie et on pense que la famille devait y vivre. Devenu adulte, Antoine a bourlingué dans toute l'Europe. Avait-il une résidence propre ? Il avait le titre de seigneur de la Bâtie-Meylan et de Montbives, mais on peut penser que sa femme et ses deux enfants ont continué à vivre dans la grande demeure biviéroise, surtout après sa mort précoce. Son fils Jean (ou Guy ?) d'Arces a vécu à la cour de France ; il se faisait appeler baron de Livarot, du nom de sa mère et aurait été l'un des mignons d'Henri III avant de se faire tuer en duel près de Blois en 1580.

L'un des cinq petits-fils de Bayard, Piraud de Bocsozel, né en 1529, suivra les traces de son cousin Antoine d'Arces. Lui aussi grand voyageur un peu en retard sur son temps, poète troubadour, il sera amoureux de la reine d'Ecosse. Il se croyait peut-être encore au temps de l'amour courtois et de l'asag : par deux fois, il se cachera un soir sous le lit de la reine ; la première fois, on pardonna l'audace du troubadour ; la seconde fois, il eut la tête tranchée (1563, voir page Bayard). Nos amis écossais avaient décidément la hache facile!

On peut dire que les familles d'Arces et Bayard ont tissé de multiples liens, subi des sorts communs ou même fait un bout de chemin ensemble. L'aïeul de Bayard, celui qui a construit le château, était marié à une Jeanne d'Arces. Bien plus tard une fille d'Arces, la belle Couvat aurait épousé un Terrail de la branche Bernin (fait contesté par certains historiens).

Des maisons fortes

Où habitaient exactement la famille d'Arces ? Comme il s'agissait d'un ensemble de familles parentes, leurs composantes étaient un peu dispersées et occupaient au fil des temps diverses demeures ou maisons fortes. A ces maisons fortes étaient attachés des privilèges et des revenus accordés par le dauphin, plus tard par le roi. De temps à autre, le possesseur de cette maison forte - et donc bénéficiaire de ces privilèges - devait rendre hommage à son souverain, dans une sorte de cérémonie officielle soigneusement enregistrée. Le souverain les confirmait alors dans ces privilèges (mains dans les mains du souverain, le suzerain jurait fidélité éternelle, puis le souverain l'embrassait). Les comptes-rendus de ces hommages ont permis de reconstituer la suite des possesseurs de certaines maisons-fortes.

On remarquera la qualité des possesseurs successifs de ces maisons : à l'origine, ce sont des nobles de haute lignée, issus probablement de la terre avant de faire leurs preuves au combat. Ensuite, ces familles se ruinent (à la Renaissance) et on voit apparaître des magistrats, des conseillers au Parlement, présidents du Parlement...(surtout à Biviers), qui rachètent leurs apanages. Leur succéderont des hommes de finance, trésoriers du royaume, et, surtout à partir de la Révolution, des notaires, puis des négociants et, enfin, des industriels.

Trois maisons fortes de la région au moins ont concerné la famille d'Arces : la Bâtie de Saint-Ismier, la Bâtie de Meylan et Montbives. Les deux dernières sont parfaitement localisées : Montbives existe toujours (voir la page qui lui est consacrée) ; la Bâtie de Meylan se situait sur la butte appelée maintenant Château-Corbeau. Quant à la Bâtie de Saint Ismier, son emplacement est controversé.

La maison forte de Meylan

Un tableau (format pdf) résume la liste des titulaires de la Bâtie de Meylan, ou Bâtie d'en haut. A la fin du 13e siècle, elle appartient à Siboud de Château-Neuf, qui l'aurait reçue de Guigues Morard d'Arces. La Bâtie a été ensuite pendant 8 ans fief personnel de deux dauphines (Anne, puis sa belle-mère Béatrix). Béatrix la cède à l'un de ses suzerains, Pierre d'Avallon. Vers 1370, Henri d'Avallon, sans héritier, la cède à sa nièce Eléonore, fille d'un Louis d'Arces, qui va l'administrer et la ranger dans les possessions des Arces. Louis d'Arces, ayant assassiné son beau-frère Guigues Toscan, aura affaire à la justice ; le roi lui fera grâce, mais il semble que les rois de France confisqueront en quelque sorte la Bâtie, qui, dans le futur, reviendra par éclipses dans le domaine royal.

Son petits-fils, Bon d'Arces, hérite de lui, mais aussi d'un oncle qui lui lègue Montbives. Pendant environ 150 ans, la Bâtie de Meylan et Montbives auront les mêmes propriétaires et les mêmes seigneurs. C'est le temps de Bayard. Vers 1550, vinrent les heures noires et la gêne ; les maisons fortes s'échangèrent vite entre d'Arces pour finalement être vendues.

En ce qui concerne la Bâtie-Meylan, un Jean d'Arces, propriétaire à Biviers, en hérite vers 1540. Il la vend en 1567 à un magistrat, Bartélémy Emé, qui la cède à son fils Octavien, également magistrat, lequel la rétrocède en 1585 au même Jean d'Arces, on ne sait pas pourquoi. Cinq ans plus tard (1590), le château est rasé par les ligueurs, en même temps que celui de Montbonnot. Cependant, les privilèges et terrains attachés subsistent ; ils sont vendus à Antoine de Chaulnes, trésorier, qui en fait hériter son fils, Claude de Chaulnes, l'homme à la tête pelée, duc, poète frivole à ses heures, personnage haut en couleurs du monde grenoblois (sa véritable fonction est, comme pour son père, président du bureau des finances ; il est contemporain d'Abel Servien et a même été, au collège de Tournon, condisciple de son frère). Le dernier fils de Claude, évêque de Sarlat, vend la Bâtie en 1718 ; une seconde vente amène la maison dans la famille des Corbeau de Vaulserre. Le domaine sera démembré au moment de la Révolution et l'emplacement a pris le nom de Château-Corbeau, en souvenir du dernier seigneur de la Bâtie-Meylan, Antoine de Corbeau, capitaine de cavalerie, mort en 1785.

La maison forte de Saint-Ismier

La seconde maison forte, la Bâtie de Saint-Ismier est plus difficile à localiser ; elle serait plus ancienne que la Bâtie de Meylan. Un tableau (format pdf) résume la succession de ses titulaires. Dès la fin du 12e siècle, un Louis d'Arces est seigneur de la Tour d'Arces (à cette époque, on appelait tour une maison forte qui comportait un tel ouvrage). Ce Louis d'Arces cède à Siboud de Château-Neuf ses droits sur la région de Meylan - et sans doute de Biviers -, droits à l'origine du fief de la Bâtie-Meylan (on sait que ce domaine reviendra plus tard par mariage dans une branche de la famille d'Arces). Dans la lignée des possesseurs de la Bâtie-Saint-Ismier, on remarquera Soffrey, bailli de Briançon (en quelque sorte un sous-préfet), déjà cité pour avoir fondé, avec ses cousins Hugues (de Meylan) et Jean (le prieur archevêque et cardinal) l'hôpital de Montbonnot en 1433. Les familles d'Arces de Saint-Ismier, bien que cousines, semblent bien distinctes de celles, plus imbriquées, de Meylan et Biviers.

D'héritage en héritage, la Bâtie parvient finalement à un Jean d'Arces, dont on apprend qu'il a beaucoup de difficultés financières. Il doit vendre une partie de ses biens et se fait escroquer du reste par son avocat. Ce reste, certainement notre fameuse Bâtie, le coeur de son domaine, lui est rendue par les tribunaux quelques années plus tard, mais il la vend en 1640 pour payer ses dettes. Il n'a d'ailleurs pas d'héritier. L'acheteur est Paul Aymon de Franquières (à Biviers), dont hérite la famille Sautereau ; cette famille vend en 1794 le domaine de la Bâtie à François Berlioz, dont descend la famille Chastel. Le manoir des Chastel à Saint-Ismier, au hameau du Chaboud, a très vraisemblablement été construit à l'emplacement de la maison forte des Arces. Les indices sont nombreux : plateforme d'une qualité et d'une surface rares à cette altitude dans la région ; vue exceptionnelle sur la vallée ; nombreux aménagements de terrasses anciennes ; allées d'arbres anciens et, surtout, plusieurs fontaines et sources permanentes. De plus, présence (ou légende ?) d'un souterrain sous le domaine et, à une centaine de mètres, restes de tours dont l'une au moins est très ancienne (13e siècle peut-être). Ce domaine est proche de Biviers (200 m du torrent de Corbonne).

Il semble difficile d'identifier le site de l'actuelle tour d'Arces avec celui de la Bâtie de Saint-Ismier. La liste des titulaires de la Bâtie ainsi que la comparaison entre les deux sites plaident en faveur de la maison Berlioz-Chastel. On a déjà dit qu'autrefois une tour signifiait maison forte et que le site de l'actuelle tour d'Arces est inapte à l'implantation d'une telle maison : il n'y a pas d'eau, très peu de vue sur la vallée, pas de terrain ; de surcroît, un assaillant équipé d'une artillerie modeste emporterait facilement cette place à partir de l'amont (pente de 40%, un recul de 60 m amène l'assaillant à la hauteur du sommet de la tour). Le nom de tour d'Arces pourrait lui avoir été attribué bien après sa construction (tout comme le nom de Château-Corbeau à la Bâtie de Meylan). On suggère que ce bastion aurait plutôt servi à protéger l'entrée (et le péage) des deux voies franchissant le Saint-Eynard, celle du col de la Faîta, d'une grande importance économique, et celle du Pas de la Branche, plus difficile, mais qui pouvait servir aux coups de main et aux bandes armées. Si cette hypothèse est correcte, elle fournirait l' éthymologie du nom de Biviers (deux voies).

 


Retour :   Renaissance   Histoire

On lira avec intérêt à ce sujet le roman historique de Gilbert Dalet : l'homme à la tête pelée, (Artès, 1995).