19e siècle (après 1830)

L'école publique
En 1833, la loi Guizot oblige les communes à posséder une école. Il y en avait une avant cette date à Biviers, en concurrence avec un enseignement catholique. En 1831, le Conseil déplore que les instituteurs changent trop souvent : ils sont mal payés car l'assistance est trop peu nombreuse. ... le maire regrette que les parents envoient leurs enfants dans les communes voisines et que le curé envoie ... ailleurs les enfants indigents, qui reçoivent pourtant une bourse communale. Au total, il y a 118 élèves à Biviers pour une population de 704 âmes. La situation ne s'améliorera que lentement au fil des ans.
En 1836 (donc bien avant que la loi l'impose), on fonde une école de filles : ... l'assemblée, pénétrée de l'importance d'une institution qui a pour but de donner à une portion intéressante de la société une instruction capable d'en faire des filles estimables et des femmes vertueuses ... s'empresse de voter la somme de 140 F... (DM 30 sep). L'école de filles sera vraisemblablement tenue par des religieuses. La première institutrice est Aurélie Pascal, née en 1810. Il y aura même bientôt plus de filles que de garçons à l'école, car elles font des travaux d'aiguille et des gants, qui établissent une compensation avec la rétribution mensuelle ... les garçons sont plus employés aux champs. Pour inciter les parents à envoyer un peu plus leurs garçons à l'école, le Conseil diminue la contribution : elle passe de 1,5, 2 et 3 F à 1,25, 1,5 et 2 F par mois selon la classe (DM 10 jan 1849).

Stendhal nous rend visite
Stendhal est peut-être passé à Biviers. Grand promeneur, il parle souvent dans ses écrits de Saint-Ismier, de Montbonnot, de Meylan ... et de la vallée du Grésivaudan : c'est un pays magnifique autant qu'il est inconnu ; rien en France, du moins dans ce que j'ai vu jusqu'ici, ne peut être comparé à cette vallée de Grenoble à Montmélian. A Monbonnot, il ne se lasse point de la vue étonnante que l'on a de ce village... (9 et 10 août 1837, Mémoires d'un touriste).
Toujours à propos de Montbonnot, il dit même avoir visité les jardins de Franquières (14 août). Il s'agissait très probablement du Franquières de Biviers.
Stendhal décrit la falaise du Saint-Eynard vue de Domène, donc notre falaise, en ces termes : ... des vignes et, au-dessus des vignes, d'immenses précipices : ce sont des rochers gris, escarpés, écorchés, presque à pic, qui semblent près de s'écrouler. De temps en temps, ces rochers arides et déchirés sont couronnés par quelques bouquets de petits sapins qui s'aventurent au bord des précipices...
Mais il ne cite pas explicitement Biviers ; il est possible qu'à cette époque, Monbonnot lui ait fait un peu ombrage.

L'ancienne mairie
Biviers ne disposait probablement pas d'une maison commune avant la Révolution ; les réunions se tenaient devant l'église ou peut-être parfois dans l'église ; il n'y avait pas d'archives autres que les registres paroissiaux. A la Révolution, la municipalité aurait acquis une maison commune située près de l'église (peut-être celle en face de l'extrémité ouest de l'ancien cimetière). Au retour des cultes, la municipalité vend cette première mairie, qualifiée d'insalubre, et rachète l'ancien presbytère, dans lequel on aménagera le logement du curé, plus une maison commune qui servira jusqu'en 1841 (DM 3 nov 1805).

En 1841 (DM 13 mai), la commune achète d'un certain Berlioz, président du tribunal de commerce, une maison qui deviendra pendant plus de 130 ans la mairie de Biviers. Elle abritera également pendant plus d'un siècle les écoles et servira de logement aux instituteurs et au garde-champêtre. Le coût initial est de 3500 F ; Mac-Carthy, seigneur de Franquières achètera les locaux annexes, ferme, grange, etc ... dont ne veut pas la commune (c'est là l'origine de propriété de l'OVE sur les terrains situés devant l'ancienne mairie). Le devis des réparations s'élève alors à 5960 F (puis à 7000 F le 18 mai 1842).
Il est intéressant de remarquer que le maire d'alors était Guillaume Paris et qu'il était propriétaire du lieu où est située la mairie actuelle (il possédait une petite maison à l'endroit même de la mairie).

Presqu'à la même date, des nobles (la baronne de Crouseylle, la marquise Marie-Louise-Gabrielle de Briançon Vachon de Belmont...) assignent la commune devant les tribunaux, car ils revendiquent la propriété de tous les biens fonds divers de l'ancien mandement de Montbonnot (DM 21 déc. 1841). Il semble qu'ils aient été déboutés.

La colonisation de l'Algérie
On fait appel aux volontaires pour coloniser le pays (DM 7 sep 1951) : les cultivateurs mariés qui ne peuvent réunir les mille francs nécessaires pour assurer leur subsistance pendant un an, se pourvoir en semences, instruments aratoires, bestiaux, ustensiles de ménage et qui désireraient obtenir la propriété d'une maison dans un des 12 villages qui viennent d'être créés en Affrique (Algérie) ainsi que 8 à 10 ha de terres à culture peuvent en faire la demande au ministre de la guerre par l'intermédiaire du maire et du préfet.... On ne sait pas si des Biviérois ont répondu à l'appel.

La 3e République
La désignation de la municipalité se fera désormais par élection. Le 23 janvier 1881, 12 conseillers sont élus : 4 cultivateurs, un géomètre, un avocat, un directeur d'école de sculpture (Irvoy) et 5 rentiers (retraités ?). Ils élisent le maire.
La démocratie revenue n'empêche pas de recenser les montures pour besoins militaires. On compte en 1873 à Biviers 9 chevaux, mais aucun mulet. Elle n'empêche pas non plus l'Aiguille de continuer à déborder.

L'école de la République
En 1871 (13 nov.), Mlle Elisabeth Giclat, en religion soeur Ste-Clémence, est installée comme institutrice publique en remplacement de Mlle Chambard, appelée à un autre poste. Elle enseignera aux filles. Pour les garçons, il y a déjà un instituteur, qui donne également des cours aux adultes. Tous ces cours sont payants. Mais la commune participe à l'éducation en versant une indemnité fixe aux instituteurs (200 F en 1871). Elle établit chaque année la liste des élèves gratuits (on dirait maintenant boursiers), rembourse le chauffage et l'éclairage des écoles et vote une subvention pour étoffer la bibliothèque (qui contient sans doute des livres de cours pour les enfants nécessiteux). Au total, en 1871, la commune débourse 1490 F pour l'éducation des enfants.
Il y a à peu près autant de filles que de garçons bénéficiant de la gratuité et on voit le nombre des écoliers augmenter régulièrement chaque année (14+14 en 1875, 16+17 en 1876...). En 1874, le traitement de l'institutrice est de 600 F, à condition qu'en plus de l'enseignante, il y ait toujours une autre religieuse (pour surveiller les enfants sans doute). La supérieure du couvent de la Providence à Corenc, avec qui le contrat a été passé, ne tient pas ses promesses et le maire les lui rappelle vertement (10 mai 1874).
En 1876 (DM 13 fév.), le budget éducation pour la commune s'élève à 1970 F : 1090 pour l'instituteur (il donne des cours aux adultes) et 875 pour l'institutrice. Ils doivent prélever sur cette indemnité le coût du chauffage et de l'éclairage des locaux.
En 1887, le Conseil s'opposera à la laïcisation de l'école des filles, préconisée par l'Inspecteur ; il demande le maintien de la religieuse enseignante, qui est à Biviers depuis 13 ans, donne satisfaction et bénéficie de l'estime de ses chefs. [En outre, cette décision] froisserait les parents des élèves (DM 27 fév.)

Les Dominicaines de Biviers
De quand date la bâtisse de Saint-Hugues ? Nous ne savons pas grand chose à son sujet. En 1634, elle s'appelle sans doute mas de l'Essart et le plus gros propriétaire de Biviers l'habite (Pierre Bouvier-Reynauld, probablement procureur). En 1820, la propriété comporte 3 bâtiments dont le principal est taxé pour 18 portes et fenêtres. Le propriétaire s'appelle Félix Penet ; le revenu cadastral inscrit dans les registres est de 52,1 F ; pour comparaison, le revenu du château de Franquières est alors de 103 F (39 portes et fenêtres) et celui de Montbives de 74,4 F (36 ouvertures). On peut en déduire qu'en 1820, cette propriété, appelée Billeret, est déjà très importante et que ce n'est pas une simple ferme.

En 1839, le domaine est vendu à Jean-Pierre Sénequier. Ce dernier est contemporain du maire Louis Massu et se bat avec lui comme un diable contre les crues du Gamont. Le cadastre impérial appelle chemin Billeret le petit chemin accédant actuellement à St-Hugues et le maire appelle chemin Sénequier l'actuel sentier des Oiseaux.

Vers 1840, Mlle Antonia Melquion est religieuse à Mâcon. Elle vient en Dauphiné pour des raisons de santé et rencontre le dominicain Lacordaire au monastère de Chalais. Sous sa directive, elle fonde en 1846 une congrégation de dominicaines à Bourgouin. Cette communauté émigre à Maubec en 1848, puis s'installe en été 1860, dans l'ancienne propriété Sénequier de Biviers. Mlle Melquion, morte en 1885, en a été la prieure pendant 35 ans [Bull. Ac. Delph. 1961, no 48, p. 223].

Ces dominicaines obtiennent le droit d'avoir un cimetière privé (19 jan. 1874, les DM disent alors qu'elles sont là depuis environ 15 ans). Dans les registres, la bâtisse appartient officiellement à Jean-Louis Sennequier, puis en 1882 au chanoine Méresse (de Grenoble), puis à Antonin Melquion, aumônier des Dominicaines et, enfin, à l'abbé Paul Sennequier-Crozet. En 1882, la maison, unique, est taxée pour 26 ouvertures plus 2 portes cochères (matrices cadastrales).
En 1901, bien acceptées par la population, les Dominicaines bénéficient d'un avis favorable à leur maintien, au moment des lois sur les congrégations (DM, 24 nov). Ont-elles pu se maintenir ? Les DM n'en parleront plus. Mais deux rapports de police en mai 1914 nous en apprennent davantage, car le préfet d'alors veut régler le sort de cette congrégation non autorisée. Au nombre de 30 environ, elles sont cloîtrées et font travailler une douzaine de domestiques sur leurs terres (12 ha). C'est un ordre purement contemplatif, elles se vouent à la prière et à des travaux de lingerie... pour le compte du clergé et de personnes bien pensantes... Elles vivent de la récolte, du travail de lingerie, du produit de leurs dots,... et aussi des libéralités des châtelains du voisinage. Selon la police, la congrégation aurait été fondée par une dame Antonia Melquion à l'initiative d'un curé de Biviers, l'abbé Louis Favre.
Les rapports résument ainsi la situation : cette congrégation n'a aucune utilité au point de vue social, elle ne fait aucun bien à quiconque et aucune aumône. En somme, le pouce est nettement tourné vers le bas. Les a-t-on expulsées ? En 1912, on les retrouve à Nay (près de Tarbes) et le couvent de Biviers est vendu en 1920.

Berlioz
Berlioz (1803-1869) ne mentionne pas Biviers dans ses Mémoires. Or il a passé au moins un été (1815) chez son grand-père Marmion, chemin de la Ville à Meylan. A l'église Saint-Victor, à deux pas de Biviers, il a rencontré une fille superbe qu'il ne devait jamais oublier, Estelle Duboeuf, la stella del monte, l'amadryade des vertes collines de Meylan. Elle avait 17 ans et était en vacances chez sa grand-mère Gautier dans une petite maison blanche aux Villaux. Cette maison existe toujours, en haut à gauche du Clos des Capucins, juste sous le fort du Bourcet (chemin autorisé aux piétons). La belle était subjuguée par les jeunes officiers napoléoniens et ne prêtait pas attention à ce garçon de 12 ans qui s'en allait cacher son chagrin dans les vignes. Elle se mariera avec le notaire Fournier. Berlioz ne retrouvera Estelle, devenue veuve, qu'en 1864 à Lyon et lui proposera le mariage l'année suivante. Elle était toujours fine, féale, courtoise... bien différente de ses deux ex-épouses. Berlioz avait 62 ans, elle 67. Elle déclinera son offre, mais son amitié illuminera ses vieux jours.

Alphonse Rallet
Né à Château-Thierry en 1819, d'esprit aventureux, Alphonse Rallet crée vers 1840 à Moscou une fabrique de produits chimiques et de parfums (son frère aîné Eugène, universitaire, le rejoint plus tard et enseigne d'abord à l'école Ste-Catherine, puis à l'Université de Moscou avant de seconder Alphonse). Les deux frères se lient à un autre émigré français, Emile Baudrand, dont la femme est originaire d'Autrans. Grâce à cet ami, Alphonse va connaître le Dauphiné et se marier en 1854 avec Mathilde Farconet dont le père a été maire de Grenoble en 1848, puis député de gauche.
En 1856, après avoir fait fortune, Alphonse Rallet quitte Moscou et vient habiter Serviantin qu'il avait acheté peu auparavant et qu'il restaure. Devenu maire de Biviers, il s'associe en 1867 avec Baudrant et les Vicat pour fonder les ciments Vicat (un quart du capital pour A. Rallet). Sa fille unique Olga épousera Augustin Blanchet, de la famille des papetiers de Rives. Alphonse sera conseiller général de Grenoble en 1870, mais perdra la vue vers 1884 et, après avoir fait preuve d'un grand courage, meurt en 1894 à Biviers (son frère Eugène avait épousé Hélène Farconet, soeur de Mathilde ; il était mort en 1865).

La nature en colère
Périodiquement, les torrents débordent et ravagent cultures et chemins (ex. l'Aiguille 1866, 67, 68, 71, 20 sep. 1882, 9 août 84, 3 août 85...). Les digues et les barrages de protection sont souvent emportés. En 1885, il faut même faire appel à l'armée pour déblayer. En 1883 (12 juillet), on signale un glissement de terrain au Pied de la Côte. Est-ce celui responsable de l'effondrement de la partie nord de la Côte ? Peu probable car les travaux de confortement des maisons concernées ne s'élèvent qu'à 600 F. Cependant, un autre affaissement de terrain, un peu plus ancien, a détaché le corps de l'église de son choeur, qu'il va falloir reconstruire (DM, 4 mai 1883).
En 1871 (13 août), il est question d'une rectification du chemin de Meylan rendue nécessaire entre le gué de l'Aiguille et le chemin du Puy Guiguet (sic), suite à une série de débordements qui ont modifié le tracé de la route. L'a-t-on fait ? En 1884 (DM 9 août) la remise en état au niveau de l'Aiguille revient à 3500 F.

Equipements divers
Une cloche est cassée (DM, 15 fév. 1883) ; l'autre, trop petite, est déclarée inefficace (en ces temps, les paysans n'avaient pas de montre et comptaient sur les cloches pour savoir quand rentrer du travail. C'était l'un des rôles de l'Angélus). Le Conseil décide d'acheter deux nouvelles cloches pour 2500 F, l'une de 500 kg et l'autre d'une tonne. Mais il faudra leur construire un nouveau beffroi (clocher).
Six mois plus tard (4 nov. 83), le devis s'élève à 4747 F pour les cloches et à 17520 F au total, parce qu'entre temps, l'église s'est détachée de son choeur. Le ministère des Cultes et de la Justice alloue une subvention de 5000 F (mai 84).

Le préfet veut racheter le pont à péage de Domène (29 fév. 84) et sollicite la contribution de Biviers pour 8% du prix. Le Conseil est d'accord pour le rachat, mais pas pour payer : on n'est pas riche, on n'a que de la vigne ; à Montbonnot, ils ont du blé... Ce pont suspendu (que Stendhal appelle pont en fil de fer) servira jusque vers 1980.

L'électricité
La rapide modernisation de la vallée n'a certainement pas été sans influer sur Biviers. En 1869, Bergès canalise pour la première fois une haute chute à Lancey. Desprez réussit un transport d'électricité de Vizille à Grenoble en 1883, Héroult réalise la première coulée d'aluminium par four électrique à Froges (1886) ... Bergès propose aux habitants des 22 communes du Grésivaudan la lumière électrique en 1893.


Pour plus d'informations :
De l'ombre du Kremlin au soleil de Serviantin, l'odyssée des Frères Rallet, Georges Salamand, les Affiches de Grenoble..., 1 oct 1999, p. 24
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