La période révolutionnaire
Avant la RévolutionLes habitants se réunissent le dimanche après la messe devant la porte principale de l'église, ou bien dans le cimetière. Il semble que seuls les propriétaires, ou même seulement les plus riches d'entre eux, aient droit aux délibérations et que ces dernières soient toujours unanimes (il n'y a pas de vote). Les syndics assistent toujours à ces assemblées. Le village est appelé communauté de Biviers ou, parfois, paroisse de Biviers.
Cependant, la féodalité est toujours là. Biviers est maintenant un mandement sous la tutelle de Montbives et de son seigneur, Jean-Jacques Vidaud de la Tour, marquis de Velleron, comte de la Bâtie, seigneur de Moyenin, de Biviers et autres places, conseiller d'état... mais il habite le plus souvent Paris. Pour gérer son domaine (et la commune), il désigne par écrit solennellement un noble de moindre importance, un châtelain, qui préside toutes les réunions de la communauté et signe les registres. Juste avant la Révolution, le châtelain ou capitaine châtelain s'appelait Joseph Deschaux (il était auparavant greffier au Parlement). Avant lui, le châtelain était Joseph Derbetant ou d'Herbetant. Quand le châtelain est absent, c'est un avocat qui le remplace ; il est appelé juge de Biviers.
1788 - La révolte
Rejoignons la grande Histoire. En mai 1788, le conflit latent opposant le roi de France aux parlements régionaux s'avive, spécialement à Grenoble. Le 7 juin, c'est la Journée des tuiles (des grenoblois bombardent du haut des toits les soldats venus exiler les gens du Parlement). Dans les semaines suivantes, l'agitation et la révolte grondent. Le 21 juillet, des Etats du Dauphiné illégaux se réunissent à Vizille. Le roi cède ; il convoque les Etats Généraux à Versailles pour mai 1789 . Dans la région, on s'y prépare au cours d'Etats du Dauphiné, légaux cette fois-ci, à Romans de novembre 1788 à janvier 1789. Comme on le sait, la Révolution française a commencé à Grenoble.
L'hiver 1787-88 a été très froid ; les récoltes de 87 était déjà mauvaises, celles de 88 seront désastreuses. Même les souches de vigne ont péri et la vendange est perdue pour plusieurs années (DM, 24 juin 1987). Le mécontentement est profond, la misère et la famine menacent. L'agitation de Grenoble gagne Biviers (à travers les lignes, on sent son téléguidage par les hommes de loi). On va alors beaucoup se réunir à Biviers. On lit dans les archives du 29 juin 1788 : ... les assemblées ici présentes sont unanimement de l'avis d'adhérer à la délibération des trois ordres de la ville de Grenoble et de se réunir aux différents ordres de la province pour adresser au roy de très humbles supplications sur les maux dont la province entière est affligée depuis l'enregistrement militaire des nouveaux édits royaux établissant de nouveaux impôts et destructeurs du pouvoir du parlement dont les membres ont été ensuite exilés, ce qui prive les sujets de toute justice ... On désigne alors 4 députés, un pour le clergé (le curé), un pour la noblesse et deux pour le tiers-état. Ils iront à Montbonnot élire avec ceux des autres comités 4 députés pour l'assemblée de Vizille (DM) .
Le 21 décembre 1788, on désigne un député qui représentera Biviers à la deuxième assemblée de Vizille. Là, le 27 décembre, seront désignés des députés pour les Etats du Dauphiné à Romans, lesquels désigneront les délégués pour les Etats Généraux de Versailles (mai 1789).
Tout cela n'empêche pas l'assemblée des habitants, sous la houlette du consul et la supervision du châtelain, de proclamer chaque mois d'octobre le ban des vendanges, date à laquelle on devra vendanger ; en même temps, on réglemente la grapille (droit pour tous de ramasser dans les vignes les raisins oubliés, mais seulement après enlèvement de la récolte).
1789-1793
L'année 1789 est très calme à Biviers. Rien n'est signalé dans les archives, sinon le ban des vendanges et la nomination annuelle du consul et consorts ...
Le 14 février 1790, on élit une municipalité (il s'agit désormais de vrais scrutins à deux tours, avec un cérémonial complexe). Les élus prêtent serment, le curé en fait partie, mais il démissionne peu après pour raisons de santé. On ne sait pas exactement qui est électeur ; il semble qu'au moins au début de la Révolution, le corps électoral ne compte que les seuls citoyens actifs, ceux qui payent une contribution directe de la valeur de 3 journées de travail. Le premier maire de Biviers est Jacques Perrard (il a été consul auparavant, par exemple en 1771-72).
Il y a beaucoup de réunions et d'élections très ritualisées : le doyen d'âge est d'abord nommé président ; il prête serment, puis désigne des scrutateurs, qui prêtent aussi serment et surveillent le vote ; les électeurs d'abord, puis les élus prêteront eux aussi serment...
Le procureur (élu lui aussi) rédige des ordonnances de police pour réprimer divers abus (coupes de bois, obstructions de chemin...), réglementer l'activité des débits de boisson, le vagabondage, les attroupements, la protection des vignes... Il sera expressément défendu aux cabaretiers de vendre du vin et de donner à manger pendant les offices religieux !
L'un des premiers soucis de la municipalité consistera à demander l'augmentation des taxes sur les vins étrangers (DM, 25 déc. 1790), sinon, la vallée est ruinée ... On ne peut pas changer de culture ... les rendements en bled (sic) sont trop moyens. [Ce sera] la ruine du pays qui ne subsiste depuis des siècles que par ses productions en vin (le prix du vin local avait en effet beaucoup augmenté à cause des intempéries). L'autre gros souci, c'est la hantise d'une fusion avec Montbonnot (DM, 6 jan. 1791).
Le curé de Biviers, Jean Blanc, prêtera le serment constitutionnel toutes les fois où on le lui demandera. Celui de St-Martin également, mais avec réticence ; celui de Montbonnot jurera aussi, puis se rétractera peu après. Le texte du serment varie un peu d'un jour à l'autre. Voici celui du 16 janvier 1791 : je jure de veiller avec soin sur les fidèles de cette paroisse qui [me] sont confiés ; d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. Plus tard, le curé sera désigné officier public, membre du Conseil, chargé de l'état civil (27 décembre 1792). Certes, le texte du serment exigé du citoyen curé s'est un peu durci : je jure d'être fidèle à la nation et de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l'égalité ou de mourir à mon poste (14 octobre 1792). Il n'y a plus de référence au roi, et pour cause : arrêté à Varennes le 22 juin 1791 au cours de sa fuite, il est déclaré déchu et sera guillotiné en janvier 93. On sait que le Pape a condamné en 1792 la constitution civile du clergé, ce qui a posé un cas de conscience à beaucoup de religieux.
Des anciens disent que tous les moines résidant à Biviers furent alors chassés de la commune. Peut-être beaucoup plus tard ? (nous n'avons pas eu accès aux archives de 1794-1799). En tout cas, avant 1794, il n'y a pas trace d'anticléricalisme à Biviers. De plus, lors des assemblées de l'époque prérévolutionnaire, on note le souci de réunir des représentants de tous les corps : un syndic pour la noblesse, un pour les forains ; on parlera ensuite des trois ordres ; le curé de Biviers sera toujours désigné pour représenter le clergé... Jamais on n'a trouvé mention de moines ou de religieux, sauf à propos des Pères Récollets de Fessia (DM, 5 jan. 1777), mais ils ne sont pas de Biviers et leur ermitage avait déjà depuis longtemps cessé toute activité. En ce qui concerne les Chartreux, ils avaient été propriétaires autrefois, il est vrai, mais ne possédaient pratiquement plus rien à Biviers dès 1672 (livres terriers).
Réorganisation
Jean-Jacques Vidaud de la Tour
Né à Grenoble en 1737, avocat, puis procureur général à Grenoble, premier président à la cour, membre de divers conseils du roi Louis XVI dont le Conseil d'Etat, il est seigneur de Biviers, comte de la Bâtie-Biviers et châtelain de Montbives (voir Montbives). Bien que démissionnaire de toutes ses charges en 1788 et réputé pour son équité et même pour son esprit de charité [d'après GS], il s'éloigne de Paris pour se retirer dans des domaines venant de son épouse (ou de sa mère). Il sera rattrapé par la Révolution et guillotiné en 1794 en Avignon, en même temps que sa mère, aveugle et âgée de 87 ans. Il est permis de penser que, si, jugeant bon de quitter Paris, il avait opté pour Biviers, il n'aurait pas connu un destin aussi tragique.
Sous la Terreur et le Directoire
Nous n'avons pas pu trouver les registres de Biviers de 1794 à 1900. On peut toutefois extraire de l'histoire de Montbonnot et St-Martin (par Georges Sailler) des informations intéressant Biviers. Fin 93, les rapports se tendent, la guerre fait rage et, surtout, des émissaires de la Commune de Paris ont été envoyés en mission à Grenoble. On leur fait certaines concessions : les églises sont fermées, puis vendues comme bien national, les curés sont contraints d'abdiquer (celui de St-Martin abdique le 19 février 94), le culte catholique est remplacé par celui de la Raison, puis, avec Robespierre à la mi-94, par celui de l'Etre Suprême. La nécessité d'entretenir une armée en guerre amène les réquisitions : grains, chanvre, bois, chevaux..., le recrutement de soldats, la chasse aux déserteurs... Tout cela est très mal ressenti par la population.
Sous le Directoire, plusieurs communes dont Montbonnot et Biviers sont regroupées d'autorité en une seule entité, le canton, siègeant à Meylan ; le maire en est Sébastien Dumenon, dit de Meylan, suspendu en 97 pour son manque de zèle (en réalité, il est de Biviers, c'est l'ex-syndic des nobles, maire depuis 1792 ). Ce regroupement, mal vécu par nos compatriotes, est la cause de l'absence de registres municipaux pendant cette période : la commune de Biviers n'existait plus !
Après le coup d'état du 18 brumaire (novembre 1799), Bonaparte, premier consul, adoucit les mesures révolutionnaires, les communes retrouvent leur autonomie et le culte catholique reprend petit à petit la place qu'il détenait avant la Révolution, dans la mesure où les églises sont réutilisables.
Et à Grenoble ?
Grenoble également passe pour une ville révolutionnaire vierge de sang. Son premier maire fut le biviérois Laurent-Aymon de Franquières, mais, se sachant malade (il meurt en 1790), il se récuse au profit de Barral. Le pacifiste Barral, bien que noble, sera trois fois maire de Grenoble. Lui et Joseph Chanrion, homme du peuple élu dans les instances départementales, exercent une influence modératrice considérable sur les excités, comme les émissaires de la Commune. Il n'y eu pas de chasse aux sorcières, du moins pas jusqu'au sang, à quelques exceptions près. Seuls deux prêtres réfractaires furent guillotinés en juin 1794. Quelques ci-devant certes furent emprisonnés et considérés comme suspects ou même otages (dont le père de Stendhal) ; mais ils furent traités humainement et relâchés. Il n'en alla pas de même avec Barnave, avocat, député à la Constituante, accusé d'avoir comploté pour sauver la famille royale après Varennes, emprisonné à Fort Barraux et guillotiné à Paris en novembre 93, mais ce crime ne peut être imputé aux Grenoblois.