Biviers, histoire, géographie

19e siècle (début)

Fin du 19e        
Incendie au Saint-Eynard
Le 13 septembre 1802 (18 fructidor an 10), le Saint-Eynard est en feu. Sous le souffle d'un fort vent du sud, trois bandes sont embrasées : le sangle, le petit sangle (lisières des corniches) et la Faissie. L'incendie, spectacle imposant et magnifique, dure plusieurs jours et préoccupe les communes voisines. Quatre commissaires biviérois sont envoyés (par le haut) en ces lieux dangereux et cinq hommes du Sappey les accompagnent. Ils ne peuvent rien faire, le feu ne s'éteint qu'avec la pluie. L'un de nos commissaires reçoit une pierre ; son chapeau lui sauve la vie. Le feu aurait été provoqué par l'imprudence de bergers du Sappey.

Rétablissement des cultes (sous l'Empire).
Un prêtre (M. Rey) est désigné pour desservir la paroisse (3 nov 1805, 12 brum. 14), mais il est sans logement. La cure (ou presbytère) a dû être vendue comme bien national. L'acheteur, un sieur Des Granges, accepte de la revendre à la commune. Les habitants sont enthousiastes ; une souscription spontanée fournit 40% du prix demandé. Le bâtiment est assez grand pour qu'on y loge également le garde-champêtre et qu'on y aménage une salle de réunion municipale.

Mais à Biviers, c'est bientôt la guerre des clochers (DM 6 nov. 1808). Les autorités diocésaines ont réuni les trois communes en une seule succursale et il est question d'une église unique à Montbonnot. Les Biviérois ne sont pas contents. La municipalité prouve, compas en mains, que son église est le centre des trois communes (!). Elle peut contenir de 1000 à 1200 personnes, donc la totalité des habitants de la succursale et on peut encore l'agrandir ! Alors que celle de St-Martin est en ruines et que celle de Montbonnot ne peut contenir qu'à peine 500 habitants et ne peut être agrandie. Jusqu'au cimetière de Biviers qui est de loin le meilleur... (NDLR : ceux qui connaissent les lieux seront étonnés de tant de mauvaise foi !)

On transige, on chicane... Ne voulant pas aller aux offices à Montbonnot, les Biviérois font ériger leur ex-église en chapelle de la succursale et leur nouveau curé devient un chapelain. Beaucoup de procédures et d'obstination, des opposants (frivolles [sic] et dénués de solidarité, selon le CM), des enquêtes de commodo et incommodo... Cet échafaudage est enfin avalisé par un décret impérial le 28 août 1813 : Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, médiateur de la confédération suisse, etc, etc... (sic), sur le rapport ... , vu les avis de..., notre conseil d'état entendu, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : l'érection en chapelle de l'église de Biviers réunie pour le culte à la succursale de Montbonnot ... est autorisé.

Les cabarets paraissent très fréquentés à Biviers, même pendant les offices. Ils sont source de scandales, de rixes, de querelles et de misère dans les familles, et, pour les jeunes gens, apprentissage du vice et du libertinage (DM, 23 jan 1806). On légifère : les cabarets doivent être fermés la nuit ainsi que le dimanche pendant la messe et les vêpres. Idem pour les danses et jeux publics.... Ces sages décisions ne seront pas très efficaces, car, par la suite, les DM relateront périodiquement les mêmes débauches et renouvelleront les mêmes mesures.

Le préfet Joseph Fourier
Tout au long de ce siècle, on peut noter dans les archives municipales la pesanteur de la tutelle préfectorale. La moindre réunion, la moindre dépense doivent faire l'objet d'une autorisation du préfet. Il faut dire que le produit de l'impôt communal ne suffit pas aux besoins et que le préfet transmet les subventions de l'Etat. De temps à autre, il demande la participation de Biviers à tel ou tel projet extra-communal. La municipalité ne le suit pas toujours ; on peut parier qu'à la prochaine distribution de crédit, les maires récalcitrants seront quelque peu oubliés...
A cette époque (premier empire), le préfet est le célèbre physicien et mathématicien Joseph Fourier, inventeur de la théorie de la chaleur et des séries trigonométriques qui portent son nom. Des lettres signées de sa main sont insérées dans nos archives. Sa signature contraste par sa modestie avec celle de nos maires. Remarquons en passant qu'il a dû bien s'amuser en lisant les délibérations biviéroises ci-dessus prouvant, par des cercles concentriques, que notre église est le centre du monde environnant.
Ce grand savant et administrateur lucide a également soutenu Champollion dans son projet de décryptage des hiéroglyphes. Malgré tous les services qu'il a rendus à la nation, il sera limogé à la Restauration. Elu par ses pairs à l'Académie des Sciences, Louis XVIII refusera d'entériner son élection !
[Pour plus de détails sur cet homme éminent, voir le site Joseph Fourier ].

Montbives et ses hôtes
Les archives (DM 29 juin 1810) nous apprennent que le préfet nomme au conseil municipal Gabriel Massu, propriétaire à Biviers, en remplacement de Jean-Jacques de Vidaud d'Anthon, décédé le 15 avril (les nobles sont donc appelés à faire partie des municipalités). On apprendra plus tard (DM 15 avril 1811) que ce noble a légué 2000 F pour les pauvres de Biviers (il faudra aller jusqu'au ministre pour pouvoir disposer de ce legs important). Par ailleurs, on sait que son héritier et frère, Jean-Gabriel, vendra rapidement le château de Montbives à Amédée Jacquemet (en 1811).

La guerre
Un recensement en 1811 (peut-être pour des raisons militaires) dénombre 651 habitants à Biviers, dont 14 familles foraines (qui habitent le village entre 3 et 6 mois par an), 272 à St-Martin et 240 à Montbonnot.
On recherche les déserteurs (DM 2 jan. 1811 et 30 sep. 1813). Il est interdit de leur donner asile. Le garde-champêtre étant jugé peu efficace, le préfet veut envoyer à Biviers une escouade de commissaires qui enquêteront jusqu'à la découverte du coupable et, en attendant, vivront aux frais de l'habitant. Le CM (Conseil Municipal) proteste et assure, la première fois, qu'il ne connaît pas de déserteurs, la seconde fois, que le suspect n'habite plus Biviers et que toute sa famille a disparu.
Nous n'en saurons pas plus sur ces déserteurs. Rappelons qu'à cette époque, les soldats étaient tirés au sort parmi les conscrits (jeunes gens en âge de porter les armes). Si on tirait le mauvais numéro et qu'on avait de l'argent, on pouvait se payer un remplaçant. Il faut également remarquer que, sous l'ancien régime, la conscription ou levée des soldats se faisait déjà par tirage au sort (DM 24 avril 1785). A cette époque, quand il était libéré, le soldat était exempté d'impôt pendant un an ou deux, sans doute le temps de se mettre en ménage.

Fin de l'Empire
En 1814, les Autrichiens envahissent Grenoble par la Savoie et le Grésivaudan ; ils en sont vite chassés par le retour de Napoléon, mais reviennent en 1815, après Waterloo. Ils font sans doute halte à Biviers. Des traces d'impact de balles aux Chevalières témoignent de leur passage. On retrouve de temps à autre à Biviers squelettes, casques ou armement autrichiens ; la dernière trouvaille date de 1998 à Plate-Rousset (ossements et pièce de monnaie). Les archives de Grenoble et de Montbonnot témoignent de la dureté de leur occupation, qui dura plus de deux ans.
Autre dureté : en mai-juin 1816, une bande d'anciens soldats et paysans, commandée par un ex-député nommé Didier, s'arme autour de Grenoble et se révolte. La répression est impitoyable (25 fusillés). Stendhal aurait été mêlé à cette conspiration, mais n'a pas été trop inquiété [Bull. Acad. Delph. 1958, p. 59].

La Restauration
Maintenant, le CM prête serment au roi : je jure et promets à Dieu de garder obéissance et fidélité au roi.... Les maires ne sont plus des laboureurs. Ils s'appellent Pierre Dupré de Mayen (1800-1815, il habite le Bontoux), puis Jean Demenon de 1815 à 1828 (il habite Farquières à l'angle des chemins de Plate-Rousset et du Puy-Guiguet) et Jean-Jacques Ruinat-Gournier (il possède le château de Serviantin). Au fil des pages, on apprend que le préfet nomme le maire, l'adjoint et deux conseillers ; ensuite, le maire établit une liste d'environ 70 propriétaires, qui éliront le reste du conseil. Avec ça, les débats ne devaient pas être très houleux...

Le revenu des Biviérois
On a vu qu'au 17e siècle la propriété était très morcelée et que quatorze ci-devant possédaient 150 ha sur les 300 cultivables dans la commune. Il ne semble pas que la situation ait beaucoup évolué à la Révolution, peu de domaines ayant été vendus comme biens nationaux, à part ceux du curé (les nobles de Biviers n'ont en effet pas choisi l'exil).
Le village compte 650 habitants, dont 140 propriétaires. La grande majorité des familles possède donc un petit lopin de terre d'un hectare en moyenne, juste de quoi survivre. Hommes et femmes vont certainement louer leurs bras aux gros possédants. Bien que propriétaires, ils n'auront en pratique pas droit à la parole avant 1870 dans les assemblées, car ils ne payent pas suffisamment d'impôts.

Quelques familles ne possèdent pas du tout de terre : elles figurent dans la liste des indigents, assistés sans doute depuis toujours par la communauté via son bureau de bienfaisance. Ils ont droit à la grappille (ramassage des raisins oubliés par les vendangeurs), mais elle est fortement réglementée. Les pauvres ont souvent la faculté de planter des pommes de terre dans un champ prêté par un voisin, en le fumant avec de la blache pourrie ; ce sont de grandes herbes qu'ils ont ramassées dans les bois communs l'hiver précédant, mais seulement pendant les quelques jours autorisés. Il semble que, dans ce prêt de terre, le propriétaire y trouve son compte, car la culture de ce tubercule permet l'assolement (rotation des semis) et l'amendement du terrain.
Dans les listes des indigents, l'âge est précisé ; on y trouve des octogénaires. On remarque le nom de personnes très handicapés : plusieurs aveugles par exemple, quelques paralysés (à la suite d'une attaque, est-il précisé. Déjà !) et deux habitants qualifiés d'idiot et d'idiote.

L'agriculture n'est pas tout à fait la seule ressource des Biviérois modestes. Les DM citent souvent l'élevage des chèvres et des brebis, fortement contesté par les propriétaires, car ces bêtes abîment les cultures (nombreux arrêtés de la municipalité, donc inefficaces ; on crée même pour elles une prison !). On élève également le ver à soie, à l'aide de l'amelanchier, disponible dans les éboulis, et du mûrier, qui pousse très bien à Biviers (le village comptera plusieurs magnaneries, dont une dans les communs du château Serviantin). On trouve aussi quelques références à des activités artisanales, concernant surtout le bois : menuisier, mais sans doute aussi charron, tonnelier ... Un Guiguet est maçon. Plus tard, beaucoup de femmes coudront des gants à domicile (ce qui ne les empêche pas d'être sur la liste des indigents).

Projets de fusion avec Monbonnot
Plusieurs fois au cours du siècle, les communes de Biviers, Montbonnot et Saint-Martin, trop petites, sont invitées à se réunir. La réaction est toujours très forte (à St-Martin également). Biviers qui a belle église et presbytère... et suffit aux besoins de ses pauvres, préfère garder son autonomie ou, à la rigueur, accepterait une alliance avec Saint-Martin. Mais avec Monbonnot ? Jamais ; c'est le pauvre qui cherche à s'associer au riche ... Ajoutons que, pendant nos orages révolutionnaires, les habitants de Biviers, placés sur des coteaux, ont su, en grande partie, garantir de toute contagion la simplicité primitive de leurs moeurs, tandis que les habitants de Montbonnot, à raison de leurs relations habituelles avec les gens de guerre et de leur position sur la Grande Route, ont contracté d'autres moeurs et d'autres habitudes ...(DM 28 sep. 1817). Le CM contre-attaque et propose de réunir Montbonnot à Meylan et Saint-Martin à Biviers, mais avec des conditions que St-Martin refuse (partage des communaux, grasses prairies au bord de l'Isère).
L'administration ne se tient pas pour battue et remet ça en 1847. Toujours la même réaction avec de nouveaux arguments car la commune vient d'acheter une mairie : ... la commune de Biviers possède église reconstruite à neuf, presbytère avec un jardin assez vaste, le tout en bon état ... elle possède un vaste bâtiment où sont établis de la manière la plus convenable les écoles de garçons et de filles, les logements des instituteurs ... du garde-champêtre, une belle salle de mairie ...sa situation est la plus centrale possible ... [etc, etc, DM 22 juil). Biviers échappera encore une fois à la réunion.

Encore les torrents
Nouveau débordement de l'Aiguille (DM 31 août 1818). Auparavant, il avait deux branches... Celle de droite (en montant) a été comblée par un éboulement il y a 20 ans. Avant cet encombrement, il n'y avait jamais eu pareil désastre... On décide de rouvrir la branche obstruée (5 nov 1818). Mais en 1822 (10 mai), l'Aiguille (qui s'appelle souvent Oeille ou même Huile ou encore la Doue) surélève ses berges : le chemin est devenu impraticable aux piétons et aux voitures. Plus tard (11 déc 1825), c'est un autre chemin qui est impraticable, avec une pente de 30%. Il faut modifier son profil et son tracé pour que les habitants puissent aller à l'église (il s'agit probablement de l'actuel chemin de l'Eglise au niveau du gué de l'Aiguille. Est-ce à la suite d'un éboulement ?).
Le Gamont, appelé aussi Phénix, ravage souvent son secteur. Le maire Louis Massu est particulièrement exposé ; il habite en rive droite du Gamont, sous l'actuel chemin de St-Hugues. Il se bat pour la création d'un syndicat afin de mener des actions collectives, allant de l'entretien du lit jusqu'à une politique de reboisement dans les bassins de collecte (8 août 1926). Il obtiendra partiellement satisfaction le 1er oct 1864 : Nous, Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, empereur des Français, à tous présents et à venir, salut. ... avons décrété et décrétons ... les propriétaires ... forment une association sous le nom de syndicat du torrent du Gamont... .
Il faut remarquer que le Conseil est très prolixe quand il s'agit d'aligner des arguments contre un projet de réunion avec Montbonnot et qu'il écrit alors des pages et des pages dans le registre des DM. Par contre, les méfaits de la nature ne donnent lieu qu'à un tout petit entrefilet (coût de la remise en état du seul domaine public). Il est vrai que ces méfaits sont tellement fréquents ! [NDLR].

Autres ennuis
Au fil des pages dans le registre des délibérations municipales (DM), on note une apparition de rage à Saint-Ismier (4 personnes mordues, DM 16 oct 1829), des incendies d'habitation chez un cabaretier biviérois qui rendent le ramonage des cheminées obligatoire (DM 9 déc 1830), la peur du choléra qui désole la capitale (27 avril 1832) et qui impose des mesures d'hygiène draconiennes : enlever les tas de fumier sur les chemins près des habitations ... tenir les habitations soigneusement nettoyées ... les blanchir à la chaux ... mesures encore plus sévères pour les élevages de ver à soie ... Nouvelles mesures en 1835 (DM 9 août). Eh oui. On ne peut pas éviter de songer à Pasteur. Il commencera ses découvertes vers 1865 précisément avec la maladie du ver à soie.
En restant au chapitre de la santé publique, trois communes voisines (Meylan, St-Martin et Biviers) s'unissent bientôt pour offrir un logement gratuit à une sage-femme permanente (DM 8 fév 1952).


Pour plus d'informations :
De l'ombre du Kremlin au soleil de Serviantin, l'odyssée des Frères Rallet, Georges Salamand, les Affiches de Grenoble..., 1 oct 1999, p. 24
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