Ermitage de Faissia

Des religieux s'établissent sans doute très tôt, au lieu dit Faissia, ou la Faissie, sous le Saint-Eynard, vers 1100 mètres d'altitude. A cet endroit, une petite plateforme d'à peine trois mètres de large (une vire) est accessible par un sentier venant du col de Vence (voir Tourisme). La plate-forme pénètre sous la roche sur une profondeur d'un à deux mètres, ménageant ainsi un abri naturel. Sous la plate-forme, un glacis faiblement boisé, mais en forte pente, a pu autrefois être terrain de culture ou d'élevage (volaille, chèvres ?). Des bassins de rétention d'eau sont encore visibles, ainsi que des ruines de murettes délimitant sans doute des cellules sous la roche. Un escalier abrupt taillé dans le roc descend de la plate-forme vers le glacis herbeux. L'eau suinte au-dessus des bassins ; les textes parlent d'une source dans la prairie. Ces vestiges sont situés sur le sentier (le sangle) menant vers le Pas Guiguet , trace équipée récemment de câbles et de prises métalliques franchissant la falaise sommitale du Saint-Eynard*.

On prétend que Saint Bruno et ses compagnons auraient, dans un premier temps, occupé cet endroit exigu avant de s'installer à Casalibus et qu'ensuite, Saint Eynard, leur contemporain et ami, l'aurait choisi pour ermitage.

Un acte de 1244 réglemente les relations et redevances entre le prieuré de Faissia et l'évêché de Grenoble. Les taxes et dîmes sont prélevées sur les laboureurs de Corenc. L'accord est confirmé en 1251 par le dauphin Guigues le Jeune. Il semble que ce prieuré ait été rattaché à celui de St Michel de Connexe (sans doute l'actuel St Michel de Connest au sud de Champ sur Drac) et donc à l'ordre des bénédictins, ainsi qu'en témoignent des archives de 1494 (les visites) de Laurent Alleman, évêque de Grenoble (et oncle de Bayard).

Malgré tout, ce monastère reste très pauvre et très isolé. Il est déclaré abandonné et complètement en ruines lors d'une visite en 1578 du prieur de St Michel de Connexe. Ce dernier met alors le site en vente ainsi que les domaines rattachés ; ils sont situés surtout à Corenc, mais on y mentionne un bois allant du lieu de Collaix (?) jusqu'au-dessus de la paroisse de Buviers (sic). L'acheteur sera Félicien Boffin, avocat et conseiller au parlement (août 1578).

Son héritier, Thomas Boffin, conseiller d'état et seigneur d'Uriage, veut relancer l'ermitage et fait reconstruire les bâtiments. Un prêtre vertueux et épris de solitude, Jacques Magnin, s'y installe, mais, apparemment, il n'a pas de successeurs. Les Récollets de Grenoble (des franciscains ?), trouvant l'endroit propice à leur spiritualité, se font alors attribuer le prieuré par Thomas Boffin, qui s'engage à en entretenir les bâtiments (1615).

La règle suivie par ces religieux est très stricte : carême la moitié de l'année (pas de viande), nourriture réduite le reste du temps, journées entièrement consacrées à la prière, aux offices et à la méditation. Les visites sont très réglementées (malgré tout, il semble qu'on y allait à cheval !). Pendant une grande partie de l'hiver, la neige bloquait le prieuré. Les moines devaient se contenter de morceaux de pain recueillis auparavant en demandant l'aumône de porte en porte et séchés au soleil ou devant le feu. Un certain frère Léonard se fait remarquer par son ascétisme, son abnégation et – on dirait maintenant – son charisme. Il est mort en 1628 et enterré sur place.

En 1655, un certain Alphonse Simiane de la Coste (tiens, tiens, un cousin de nos seigneurs biviérois !), prieur de St Michel de Connexe, conteste la vente au profit de Boffin et veut chasser les Récollets. Mais Félicien Boffin avait à l'époque pris la précaution d'obtenir l'aval du Pape ! En 1656, pour éviter un procès mal parti, on transigea : on cède aux requérants des dîmes et des redevances, les Récollets gardent le prieuré et le Pape aurait encore une fois approuvé.

La dernière mention concernant ce prieuré date de 1670. Son supérieur s'appelle alors Jacques Arbaleste ; il assiste à une cérémonie à l'ancienne abbaye des Ayes. Au milieu du 18e siècle, l'endroit paraissait abandonné. La cloche de sa chapelle, datant de 1670, se trouve encore au clocher de l'église de Biviers. L'endroit a été ravagé par un incendie peu avant la Révolution, par suite de la maladresse de charbonniers. L'emplacement a été vendu comme bien national en 1792.

Cette page résume la copie d'un document imprimé, appartenant à un biviérois, mais ne comportant aucune référence. L'académicien B. Bligny [Bull. Ac. Delph. 1985] pense qu'il y avait deux établissements : celui du St-Eynard dont on observe encore les ruines et un autre, situé plus bas, sur Corenc ou sur Meylan, auquel se rapporteraient les textes historiques ci-dessus, mais qui n'aurait laissé aucune trace. Il est vrai qu'on a du mal à imaginer un monastère sur le site actuel ; mais il ne faut pas oublier que : primo, les moines recherchaient précisément la solitude et l'inconfort ; secundo, le climat de l'époque était beaucoup plus chaud qu'actuellement ; tertio, la géographie et la disposition des lieux pouvaient être différentes, la falaise étant très active.

* Attention : les câbles et les dispositifs de sécurité ont été retirés par la municipalité Tardy de Meylan. En outre, cet itinéraire plurimillénaire est maintenant déclaré interdit.
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