Saint-Martin-de-Miséré

Le prieuré
Vers l'an mil, Hugues, évêque de Grenoble, fait appel aux moines de Cluny pour implanter un monastère à Vizille et un autre à Domène. Ce dernier possède une vaste propriété (vigne, blé, chanvre, bois) à Miséré ; elle s'étend de Biviers à l'Isère le long du torrent de Corbonne (Guy Allard précise même qu'elle faisait parie de Biviers). Le nom de Miséré peut provenir du mot misère : les champs de la partie basse, trop dévastés alors par les inondations, étaient peu riches à moins d'un travail acharné. En outre, le climat était sans doute humide et moins sain que maintenant, toujours à cause des inondations.

Cet évêque aide également St Bruno à fonder la Grande Chartreuse en 1084. Il fonde également la chartreuse des Ecouges (1116), l'abbaye de Chalais, un prieuré à Saint-Jeoire (Savoie) et un autre à Miséré (Saint Martin de Miséré, vers 1100 ?).

Les occupants de ce dernier prieuré étaient des chanoines, jamais très nombreux (moins de 10). Il assuraient les services religieux dans les paroisses alentour (dont celle de Biviers) et aidaient les pauvres. Les revenus du prieuré étaient importants et provenaient :

C'est surtout le prieur et l'évêque de Grenoble (lequel se faisait appeler abbé de Saint-Martin) qui tiraient le plus de bénéfices de cette institution. Aussi les grandes familles vouaient leurs enfants qui ne voulaient pas porter les armes à la direction des abbayes ou des prieurés (le rouge et le noir !). Ainsi, la famille d'Arces détint cette charge (?) pendant un siècle au prieuré de St Martin. La maison essaima et fonda plusieurs autres prieurés alentour (dont peut-être celui de l'Abyme à Biviers).

Le village
La paroisse environnante prit le nom de Saint-Martin-de-Miséré. Elle fut toujours habitée par des laboureurs (agriculteurs) pas très riches. Les propriétés n'étaient pas grandes et les moyens de culture médiocres (peu de bœufs).
Les terres les plus hautes étaient devenus prospères à force de patience, mais elles n'appartenaient pas aux villageois (c'étaient surtout des Biviérois qui les possédaient). Un grand domaine, sous le château de Monbonnot, appartenait aux chartreux (celui occupé actuellement par l'Ecole des Pupilles de l'Air) et disposait de bons moyens (3 paires de bœufs). Les terres basses subissaient les inondations catastrophiques de l'Isère, qui lavait et dégradait les sols pour plusieurs années. Les années de misère, les paysans empruntaient aux riches ou aux bourgeois (habitants des villes) ; les taux étaient usuraires (jusqu'à 50% l'an !) ; ils ne pouvaient pas toujours rembourser et devaient vendre leurs terres. De surcroît, la construction et l'entretien des digues coûtait très cher.

Evolution du prieuré
Une maladrerie (maison pour lépreux et pestiférés) avait été fondée peut-être par saint Hugues auprès du torrent de Corbonne et confiée au prieuré. Elle fut fermée, faute de malades, à la fin du 17e siècle.
La famille d'Arces fonda un hôpital-hospice en 1433 à la sortie de Monbonnot sur la grand'route. Sa gestion fut confiée également au prieuré. Il accueillit souvent les blessés des guerres, si nombreuses à l'époque. Cet hospice survécut à la disparition du prieuré, jusqu'à la Révolution. Il en reste un bâtiment avec une tour, sur la Nationale en face de la poste.

Le prieuré sera saccagé et incendié par le baron des Adrets en 1562. Il ne s'en relève pas et périclite. Les chanoines préfèrent habiter chacun dans la cure de la paroisse qu'il dessert. Ce que voyant, Mgr Le Camus ferme le prieuré en 1673 et tente d'y fonder un séminaire. Son projet échoue et il cède bâtiments et revenus aux Oratoriens qui y crée un collège pour les fils de bourgeois et de nobles des environs. Cet établissement jouit bientôt d'une excellente réputation ; il attire jusqu'à 85 pensionnaires (1742). Mais sa renommée lui vaut jalousies et attaques ; le collège périclite et doit fermer en 1764.

Les rapports entre villages
Les habitants de Saint-Martin, au reste peu nombreux (moins de 250), étaient conscients d'une injustice du sort ou d'une infériorité par rapport aux gens de Montbonnot (un peu moins nombreux encore) ou de Biviers (500 habitants environ). Ces deux dernières paroisses étaient plus riches, semble-t-il : pour Monbonnot, la richesse relative provenait de l'artisanat, du commerce et des marchés. Bien souvent, les trois villages furent invités à se réunir pour diminuer les charges communes : entretien de l'église, des chemins, des digues, du garde-champêtre et, plus tard, d'une école, d'un instituteur...
A propos d'école, on notera cet exemple de bonnes relations : en 1832, Madeleine Briançon, de Biviers, ouvre une école de filles à Saint-Martin-de-Miséré. Quand on connaît l'abnégation dont devaient faire preuve les instituteurs d'alors, il ne s'agit pas là d'une mince preuve de sympathie (bien que l'école fût payante).

Jamais, les habitants de St Martin n'acceptèrent une fusion de leur plein gré. Il leur était arrivé de préférer s'unir avec Biviers plutôt qu'avec Montbonnot : plusieurs Biviérois en effet possédaient des terres chez eux (en 1808, plus de la moitié des terres de St-Martin appartenaient à des Biviérois) et certains siégeaient dans leurs assemblées (il y avait très peu de personnes sachant lire à St-Martin).
L'église de St-Martin s'était dégradée (le prieuré n'était plus là pour la réparer) puis écroulée en 1806 ; les habitants avaient été forcés de se rabattre sur l'église de Montbonnot, mais à contre-coeur et ils persistaient dans leur refus d'une fusion administrative.
Il y eut de multiples tentatives pour diverses mises en commun. Parfois ce fut Biviers qui refusa, à cause de la mauvaise réputation de Montbonnot et de ses cabarets ! La fusion administrative fut imposée pendant le Directoire (1794-99, canton de Meylan). St-Martin retrouve son autonomie sous le Consulat (ainsi que Biviers d'ailleurs).

Finalement, en 1849 une loi força les communes à atteindre le seuil des 500 habitants. Sous la contrainte, St-Martin accepta de se réunir à Montbonnot (décret du 30 juin 1951). D'où l'origine du nouveau nom, Montbonnot-Saint-Martin.


Pour plus d'informations, se reporter à :
Regards sur Montbonnot et St-Martin-de-Miséré, par Georges Sailler (3 tomes : de 1100 à 1789, 1789-1799, et de 1800 à 1900).
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